Voici le blog pédagogique de M. Cros.
Vous y trouverez des infos sur l'Antiquité et des pistes pour le latin.

lundi 23 octobre 2017

Brutus ou le parricide impossible

Il est frappant de constater que pour le grand public, Brutus reste « le fils adoptif » de César. C'est par exemple le cas dans Astérix, à la fois chambre d'écho et amplificateur de la vision de nos contemporains sur l'Antiquité classique. Mais cela est tout à fait impossible.
On pourrait tout d'abord expliquer cette erreur par une confusion avec Octave (le futur Auguste), qui lui fut effectivement le fils adoptif de César, même si cela se fit de façon posthume.
Brutus, le fils impossible
Les historiens de l'Antiquité semblaient unanimes pour considérer Brutus comme le fils naturel de César. La mère de Brutus était effectivement sa maîtresse. En rapprochant les dates, on peut constater que Brutus est né 9 mois après le retour provisoire de César à Rome. Mais la liaison entre les deux ne date que de -64, alors que Brutus était déjà un adulte. Cette paternité furtive est donc surtout le fruit d'un fantasme, fantasme de la figure du pire des criminels, le parricide, celui qui élimine sa source, son lien avec les ancêtres, celui qui refuse toute forme de pietas, celui qui au final ne mérite pas le nom de Romain.
Mais on sent que l'absence de descendance masculine était un problème pour de nombreux Romains, et pour César en particulier. Sinon, pourquoi adopter Octave, le petit-fils de sa sœur ? Césarion est hors course, à condition qu'il soit bien le fils de César, ce que César a toujours refusé, malgré la volonté de Cléopatre de le faire reconnaître. Illégitime et au moins à moitié Egyptien, il n'avait aucune chance d'avoir les honneurs du testament du dictator perpetuus.
On peut en revanche parier que Brutus aurait pu faire un excellent fils à adopter légalement si César était son vrai père. C'est ainsi cette non-reconnaissance (car César ne pouvait deviner en rédigeant son testament que Brutus participerait à son assassinat) qui est la preuve de la non-filiation. Et il est intéressant que cette non-reconnaissance soit contrebalancée littérairement par cette ultime reconnaissance en forme d'accusation : « Tu quoque, mi fili ! ».
la citation impossible
Que penser de cette phrase finale ? On comprend sa force littéraire et symbolique, puisqu'elle agit aussi comme une malédiction : Brutus mourra « lui aussi », il devra répondre de son crime, deux ans plus tard, le 23 octobre -42, quelques semaines après Philippes.
Hélas ! ce n'est qu'une citation très probablement apocryphe. En effet, Suétone, qui n'est pourtant pas toujours d'une grande rigueur quant à ses sources, surtout quand il s'agit de dire du mal des « mauvais » empereurs, est très dubitatif sur cette citation. Selon lui, César n'aurait émis qu'un soupir. Il évoque toutefois l'hypothèse de la citation finale, en la rejetant, mais dans sa version grecque. «  Καὶ σὺ τέκνον ; » telle aurait été la dernière phrase de César, dans une langue qui fut celle de son enfance.
Brutus ne fut donc pas un parricide, mais assurément un tyrannicide, un amoureux de la liberté et des libertés. Mais, en tant que perdant, il ne lui appartiendra pas d'écrire l'Histoire. C'est sur lui qu'elle s'écrira.

Josselin Cros

illustration : Uderzo, Astérix Gladiateur

dimanche 8 octobre 2017

César, le feu et la bibliothèque d'Alexandrie

L’auteur se demande pourquoi les bibliothèque brûlent. Il évoque lépisode avec César, qui a accrédité la légende de la destruction de la bibliothèque dAlexandrie.
Vers 300 av. J.-C., Ptolémée Ier dit Sôtêr succède à Alexandre le Grand. Il fait d’Alexandrie une grande capitale de l’Empire et fonde la célèbre bibliothèque. Son fils, Ptolémée II, qui fit construire le non moins célèbre phare, poursuivit l’œuvre de son père. La bibliothèque comptera, selon les estimations, entre 100 000 et 700 000 volumina. Le pouvoir ne ménage pas ses deniers pour attirer les plus grands savants du Bassin méditerranéen et les faire travailler à la constitution de ce temple du savoir. Il s’agissait, pour les promoteurs d’Alexandrie, de rassembler en un seul lieu tous les écrits disponibles, religieux comme scientifiques, toutes traditions, toutes confessions mêlées. On racheta à grands frais la bibliothèque personnelle d’Aristote, dont les volumina vinrent enrichir le fonds de la « très grande bibliothèque », cette sorte de Tolbiac avant la lettre (d’avant, surtout, l’informatique…)
En 47 av. J.-C., Jules César fait mouiller sa flotte dans le port d’Alexandrie. Il est probable qu’en voulant incendier celle-ci, l’adversaire mit le feu à des entrepôts où se trouvait une partie des réserves de la bibliothèque.
Dominique AUTIÉ, De la page à lécran, Éditions Élæis, Montréal, 2000

Voir la page (plus complète) sur le blog de lauteur, décédé depuis plusieurs années, mais qui lui survit, pour encore combien de temps ?
Correxi « volumen » pro « volumina ». J. C.

mercredi 4 octobre 2017

Nabeul : la capitale du garum engloutie par un tsunami

Une équipe conjointe de l’Institut national du patrimoine tunisien (INP) et de l’Université de Sassari-Oristano en Italie a annoncé cet été la découverte d’une cité romaine, Néapolis, sur le littoral tunisien, à quelques encablures de Nabeul. L’expédition a mis au jour vingt hectares de ville antique, submergée par la mer Méditerranée au IVe siècle ap J.-C. C’est une découverte qui a dépassé leurs espérances. L’équipe avait pour objectif de retrouver le port de Néapolis, la partie antique de la ville de Nabeul enfouie sous les eaux.
La mission avait commencé ses travaux en 2010 dans le golfe de Hammamet. Néapolis fut d’abord un comptoir carthaginois évoqué au Ve siècle avant J.-C par l’historien grec Thucydide avant de devenir une colonie de l’Empire romain sous le règne de l’empereur Auguste. Mais c’est seulement cet été et tout près du rivage, à la faveur de très bonnes conditions météorologiques particulièrement favorables aux recherches sous-marines, que les archéologues ont découvert les 20 hectares de vestiges. Sur les images de l’Institut national du patrimoine tunisien, les crevasses entièrement recouvertes d’algues cachent les vestiges de cette cité grecque.

Outre les rues et les monuments sous-marins, les archéologues ont découvert près d’une centaine de cuves de salaisons et de « garum ». Il s’agit du tiers de la cité antique de Néapolis dans laquelle ont été découverts des bassins de macération servant à saler une quantité très importante de poissons, pour produire le garum. Denrée très convoitée par les Romains, cet onéreux condiment est une sorte de sauce à base de poisson dont le goût s’apparente à celui du nuoc-mam vietnamien. Brassé dans ces cuves, l’onéreux garum était ensuite stocké dans des amphores « qui ont été exportées à travers presque toute la Méditerranée et ont dressé des ponts entre les différentes villes » dans la région, explique Mounir Fantar, directeur de la mission archéologique. « Cette découverte nous a permis d’avoir la certitude que Néapolis était un grand centre de production de garum et de salaison, probablement le plus grand centre dans le monde romain. Les notables de Néapolis devaient vraiment leur fortune au garum », ajoute le chercheur. Outre la zone « industrielle », les archéologues ont découvert une ville remarquablement conservée, notamment des monuments tels qu’un temple dédié à Jupiter. Le lien entre la ville découverte et le site archéologique de Néapolis à Nabeul a été confirmé par les chercheurs après avoir découvert des chemins reliant la partie terrestre du site à celle retrouvée sous les eaux de la Méditerranée.

le plan de la ville de Néapolis immergée et émergée

Autre fait non négligeable, cette découverte et l’analyse des premiers vestiges ont permis de confirmer les écrits d’Ammien Marcellin (v.330 - v.395). Cet historien grec racontait alors que la ville avait souffert d’un puissant séisme le 21 juillet 365 après J.-C., et qui a durement touché Alexandrie et la Crète comme de nombreuses cités au bord du bassin méditerranéen. En effet, ce tremblement de terre, qualifié de cosmique par les témoignages de l’époque, aurait causé un tsunami. « La mer quitta le rivage et surprit des villes et d’innombrables gens en Sicile et dans de nombreuses îles », selon la traduction en latin par Jérôme de la Chronique d’Eusèbe de Césarée. Selon un autre historien antique, des navires furent projetés en pleine ville d’Alexandrie, jusque sur le toit des maisons et un bateau avait échoué à plus de deux milles du rivage. Il est désormais établi qu’un tsunami, provoqué par ce séisme, a effacé une partie de la vieille cité. Les contemporains avaient alors dû délocaliser les activités de salaison. « C’est une découverte majeure » car elle vient corroborer des récits datant de l’Antiquité, a expliqué Mounir Fantar. Aujourd’hui, la priorité des archéologues est d’en faire une réserve archéologique. « Le plus important n’est pas de fouiller, mais de conserver, justifie Mounir Fantar. Il s’agit d’une découverte unique qui va pouvoir relancer les recherches archéologiques en Tunisie et en mer Méditerranée de façon générale ».
d’après AFP

exemple de cuves pour la fabrication du garum, ne provenant pas du site de Nabeul

illustrations :
(haut) © Handout / L’institut National du Patrimoine Tunisien (INP) / University Of Sassari / AFP
(milieu et bas) D. R.