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mercredi 14 juillet 2010

A la recherche de la roche Tarpéienne

Rome, 1998. Je prépare un film sur David et sur ses Sabines. J'ai envie de voir les lieux qu'il a connus lors de son séjour romain et dont il s'est sans doute inspiré pour sa grande peinture. On pense qu'il a montré dans son tableau la fameuse roche Tarpéienne que les voyageurs visitaient encore au XIXe siècle mais que les guides touristiques ont bien du mal à situer aujourd'hui. L 'histoire nous avait longuement été racontée en classe. Selon certaines versions des historiens latins, Tarpeia était la fille de Tarpeius, celui qui commandait la citadelle du Capitole au moment de l'attaque des Sabins. Tarpeia propose à Tatius, le roi des Sabins, de lui donner les clés et de le faire pénétrer dans l'enceinte à condition qu'il l'épouse. Selon une autre version, à condition que les Sabins lui donnent tout ce qu'ils ont au bras gauche, c'est-à-dire leurs bracelets et leurs bagues d'or. Les Sabins pénètrent dans la forteresse à la faveur de la nuit. Tarpeia est écrasée sous le poids des bijoux que lui jettent les soldats. Ou encore, sur ordre de Tatius, Tarpeia est écrasée sous les boucliers des guerriers sabins. Et la roche qui se trouve là sera baptisée roche Tarpéienne en souvenir : de sa cime, on précipitera les traîtres. Lorsqu'on nous racontait cette histoire, nous avions du mal à comprendre ce triste exemple et encore plus de mal à en tirer une morale, si toutefois il y en avait une. Certes, nous comprenions bien que la traîtrise était une infamie. Mais nous trouvions que l'amour que lui portait la jeune femme aurait pu inspirer à Tatius quelque pitié. Et nous étions d'autant plus décontenancés qu'une autre version prétendait que Tarpeia avait en fait désiré prévenir le roi Romulus et qu'à ce titre elle était considérée par certains comme une véritable héroïne romaine. Nous n'avions pas encore lu Dumézil et nous ne comprenions pas du tout pourquoi des versions aussi contradictoires pouvaient coexister. Il nous semblait que, de façon générale, il ne pouvait y avoir qu'une seule histoire plausible et que cette loi était valable pour la vie courante comme pour les romans ou pour le cinéma. Certains historiens placent la roche au nord du Capitole, du côté de la place de Venise, où elle aurait donc été noyée dans l'abominable monument à Victor-Emmanuel. D'autres penchent pour le versant sud-ouest du Capitole, face au Tibre, au-dessus de la place de la Consolation. Un matin de ce printemps-là, je suis parti vers le Capitole et j'ai décidé de tourner autour, dans la mesure du possible, afin de repérer tous les rochers qui pouvaient passer pour le fameux site. On voyait bien quelques rocs le long de l'avenue du théâtre de Marcello, mais aucun n'était assez haut pour prétendre être un lieu d'exécution.
Sur l'autre côté de la colline au contraire, à partir du flanc sud du palais des Conservateurs, les pentes sont suffisamment escarpées pour laisser à nu par endroits plusieurs éperons rocheux. Escaliers, jardins, bosquets, allées en lacets dans les pentes fortes, bancs de pierre, toute cette zone avait été aménagée de longue date. À l'entrée d'une rampe, une plaque indiquait Via del Monte Tarpeio. J'étais donc dans le bon secteur.
Alain JAUBERT, Une Nuit à Pompéi, éditions Gallimard, 2008.

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