Voici le blog pédagogique de M. Cros.
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lundi 24 octobre 2011

La Mort de Néron

C'est la ville de Rome qui parle en évoquant sa grandeur passée...

Sur le vieil Esquilin, l'immense Maison dorée de Néron dévore mes collines, et l'étendue de ses dépendances paraît former en moi une seconde Rome, avec ses champs de blé, ses vignobles, ses pâturages, ses forêts peuplées de troupeaux et d'animaux sauvages de toute espèce, ses pavillons de luxe. Sentant la fin de son règne venir, Néron est rentré précipitamment de Naples. Un moment il peut se croire invincible : il aperçoit, sur le chemin du retour, au flanc d'un monument, une sculpture qui représente un soldat gaulois, terrassé par un chevalier romain, traîné par les cheveux. Pourtant, au matin, il se rend compte que tous l'ont quitté, emportant de la vaisselle, des étoffes, des bijoux. L'empereur esseulé pleure en griffant sa tunique de ses longs ongles peints, au pied de sa propre statue. Puis il erre le long des péristyles sans fin désertés par la garde impériale et dans la salle des banquets, qui tourne sans relâche sur son axe comme une terre plate, sous la fresque voûtée du Zodiaque qui déroule l'écheveau maintenant monotone des jours et des nuits. Il s'allonge sur un lit moelleux, pour une dernière fois, et rêve qu'il s'empiffre, aux commandes des mouvements du monde. À l'aube, il doit s'enfuir, au son de verre brisé des chevaux des tueurs, sur les pavés de la via Nomentana, se réfugie chez un ancien esclave, trépigne, pleurniche, tempête, sanglote, demande qu'au moins on trouve pour sa tombe quelques morceaux de marbre, se lamente à l'idée de voir disparaître un artiste aussi admirable que lui ; et pour finir il doit se faire aider pour plonger dans sa gorge le poignard aiguisé d'une mort honorable. Bientôt, sur le sol craquelé du grand lac asséché de la Maison dorée, Vespasien, désireux de poser à l'ami du bon peuple, ordonnera la construction d'un grand amphithéâtre dont il ne verra jamais l'inauguration ; et les plafonds d'ivoire, les portiques nacrés et les colonnes d'or de la ville de Néron s'enfoncent dans l'oubli. Bientôt, les éléphants de l'armée d'Hadrien soulèvent la statue colossale de l'empereur déchu, la transportent devant le temple de la Ville, où l'on décide qu'elle représentera, désormais, Apollon. Quant au cadavre de Néron, on l'a brûlé.

Stéphane AUDEGUY, Rom@, Gallimard, 2011

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