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lundi 27 juin 2011

Lire les trous

Un des premiers romans d’adulte que j'ai lus est le Satiricon de Pétrone (lecteur : deuxième moitié XXe s. ap. J.-C., auteur : moitié du Ier ap. J.-C.), et j'ai été bien content d'apprendre que le premier roman occidental était celui-là. Un roman allègre. Moqueur. Et incomplet. On m'a expliqué que les livres antiques ne nous sont connus que par des recopiages faits dans des monastères au Moyen Âge. Il est d'ailleurs à porter au crédit des moines et de leur naïf amour de l'esprit qu'ils aient recopié, des vies durant, des livres d'une religion contraire à la leur et contenant parfois des choses bien osées. Parce que c'était l'heure des vêpres et que, courant vers le réfectoire en relevant sa soutane, le frère qui s'occupait de Pétrone a fait s'envoler des feuilles qui sont allées se mêler aux emballages de bouteilles de liqueur ou se greffer aux ailes d'un papillon ? en tout cas, le Satiricon nous est parvenu incomplet. La lecture de ses trous était fascinante. Moins que ce qui restait, mais parce que cela restait. Qu'y avait-il eu à la place de ce trou ? C 'est le moment où le lecteur est encore plus Sherlock Holmes que d'habitude. On dit : c'est en traversant les temps que le Satiricon s'est troué. Bien. Mais si je décide que c'est parce que Pétrone était un génie ? Qu'il a organisé lui-même ses trous ? La condescendance du présent envers le passé est risible, parfois. Vous savez qu'ils étaient aussi très intelligents ? Et je me suis dit : écrivons un roman avec des trous. Nos vies hâtives n'a pas été celui qui s'est le mieux vendu. Le lecteur fait des trous en sautant des passages.
Charles Dantzig, Pourquoi Lire ?, Grasset, 2010

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